Tandis que nos esprits s'éveillent doucement dans un bus pris à l'aube en direction des régions de Valparaiso et de Santiago, nous réalisons que nous avons déjà parcourus plus de 1500 kilomètres de cet immense pays longiligne qu'est le Chili.


De l'insolente beauté désertique de San Pedro de Atacama à notre surprenante expérience de volontariat à La Serena, en passant par nos plaisantes rencontres avec les lions de mer d'Antofagasta, nous avons vécu toutes sortes d'émotions dans les régions du Nord de ce pays, qui, pour ne rien vous cacher, n'étaient pourtant pas celles que nous attendions avec le plus d'impatience, le Sud et son incontournable Patagonie attirant irrémédiablement nos pas et nos esprits.


C'est avec un peu d'avance sur notre planning, bousculé par notre volontariat écourté, que nous arrivons donc dans les environs de Valparaiso, ce lundi midi, une semaine pile-poil avant notre rendez-vous festif avec Santiago.


Notre bus nous fait d'abord brièvement visiter la petite sœur "aisée" de Valparaiso, Viña del Mar, dont le centre est principalement constitué de grands buildings modernes, de centres commerciaux, et de luxueuses "petites" maisons. Rien qui n'éveille particulièrement notre curiosité, et notre bus poursuit son voyage sur la voie rapide qui continue sa descente le long de l'océan. Quand soudain, au détour d'un long virage, se dévoile enfin à nos yeux la célèbre Valparaiso. En un seul regard, nous tombons immédiatement sous son charme.


Il faut dire que le décor a tout pour nous séduire : face à un océan Pacifique bien calme à cet endroit de la côte, venant caresser avec langueur les pieds de la ville, se dressent les innombrables collines (bon ok, apparemment quelqu'un de plus motivé que moi s'y est mis, et il y en aurait 42 !) qui forment le charmant golfe de Valparaiso.


Dans cet espace quelque peu restreint, le ballet incessant des pélicans, mouettes et autres oiseaux marins, ajoute une douce mélodie au magnifique tableau formé par les centaines de maisons aux couleurs vives nichées sur les pentes de la ville.


Il est facile de comprendre pourquoi cet amphithéâtre naturel, situé non loin de la capitale, fut pendant plusieurs siècles l'un des ports les plus importants de tout le continent, et une étape incontournable de la célèbre ruée vers l'or.


Avant que le canal du Panama ne soit creusé et opérationnel en 1914, les navires exportant l'or de Californie et y amenant les vivres nécessaires au fonctionnement de cet Eldorado devaient impérativement contourner le continent par le Cap Horn, et faire escale à mi-chemin, donc à Valparaiso. Les 15 funiculaires tombant les uns après les autres en décrépitude, mais fonctionnant encore pour une petite majorité, sont les témoins de la richesse de la ville au début du siècle dernier.


Il nous faut peu de temps pour croiser nos premiers tags et fresques murales, qui se comptent par milliers ici, et qui font aujourd'hui la réputation de la ville. Si Valparaiso n'est plus le premier port du pays depuis une dizaine d'années maintenant, battu par son voisin San Antonio, bien plus grand et plus proche de Santiago, la ville peut compter sur un tourisme qui ne cesse d'augmenter, et dont le street art qui y fleurit sans limite en est l'une des principales raisons. En effet, dans les petites ruelles étroites et pentues des principaux "cerros" de la ville ("collines", en français), il est presque impossible de trouver un mur laissé intact par les bombes de peinture.


Comme nous l'explique avec passion Juan, le guide/graffeur passionné et passionnant qui anime le tour que nous faisons dès notre arrivée pour découvrir la ville, l'art de rue a très vite pris une importance considérable à Valparaiso, et cela depuis plus de 30 ans maintenant, pendant la dictature de Pinochet. Privés de liberté d'expression et d'opinion dans les médias ou l'espace politique, pendant plus de deux décennies, les chiliens ont utilisé de nombreuses formes pour exprimer leur contestation dans tout le pays, et l'un des plus visibles en fut le street art.


Si c'est à Valparaiso plus que dans n'importe quelle autre ville qu'il s'y est développé le plus, c'est parce que la ville constituait un terreau très favorable à l'apparition d'une telle révolution visuelle. Bien longtemps avant la dictature, à une époque où Valparaiso était encore le port le plus important du pays, les habitants les plus pauvres de la ville construisaient leurs maisons sur les hauteurs des collines en récupérant la tôle des containers amenés par la mer, et les peignaient avec de la peinture marine résistante à l'eau pour éviter qu'ils ne rouillent rapidement, créant ainsi ce tableau visuel fait d'une multitude de couleurs différentes (chacun reprenant la couleur de son bateau, pour peindre la façade de sa maison).


Aujourd'hui, le street art a pris une telle ampleur dans la ville que de nombreux propriétaires "commandent" à des graffeurs des fresques pour colorer les murs de leurs maisons, afin d'une part de pouvoir choisir les motifs qui les ornera, et d'autre part d'éviter que leurs façades ne deviennent le théâtre d'une interminable guerre de tags, toujours irrémédiablement recouverts par de nouveaux au fil des années.


Notre séjour à Valparaiso sera également l'occasion de croiser toute une colonie de lions de mer, postés inlassablement près du port de pêcheurs et du marché aux poissons, où des centaines de pélicans ont aussi pris possession des toits du bâtiment.


Un spectacle si rare et agréable que nous y passerons de longues minutes à les observer, nous amusant de leur démarche si maladroite et lourde sur le sable, mais nous attristant aussi de les voir tous se battre pour des bouts de polystyrène rejettés par l'océan sur le rivage...


Nous achevons nos quelques jours passés ici par un coucher de soleil splendide sur la ville, que nous contemplons depuis les deux immenses dunes de sable (les "dunas de concon", oui, oui) qui viennent se jeter dans l'océan à quelques kilomètres au nord de la ville, et qui offrent à qui ose les gravir un panorama sans égal sur la baie de Valparaiso.


Moins de 2 heures de bus nous séparent de Santiago, que nous rejoignons dès le weekend suivant pour y passer la semaine des Fiestas Patrias, les fameuses fêtes nationales qui célèbrent l'indépendance du pays, et pendant lesquelles la nation entière s'arrête, et va se pinter la gueule sans modération dans des "fondas" qui fleurissent un peu partout dans les parcs, sortes de mix entre des fêtes foraines et des festivals de musique traditionnelle, dans lesquels malheureusement seul le rythme du pandémique reggaeton sud-américain vient perturber les "danses au foulard" locales qui s'enchaînent toutes les demi-heures, pour le plus grand plaisir d'un public qui s'envoie des litres de sodas en intraveineuse à longueur de journées. Voilà, si ça ne vous donne pas envie, je ne comprends pas !


Malheureusement pour notre "entertainment" et pour la découverte de toutes ces folles coutumes locales, mais sûrement pour le plus grand soulagement de nos foies, une 2ème tourista de grande ampleur choisit cette semaine pour frapper Nico, et le forcer à limiter à la fois ses déplacements et son régime alimentaire pendant plusieurs jours.


Pas de folie donc, nous n'aurons pas l'occasion d'essayer le fameux "terremoto" (ou tremblement de terre), cocktail local que tout le monde nous aura à la fois déconseillé mais aussi invité à essayer une fois, et dont les ravages liés au mix entre un vin blanc de piètre qualité et du sucre à l'excès (grâce au combo gagnant de la glace à l'ananas et de la grenadine) ne sont pas difficiles à imaginer.


Nous arriverons tout de même à optimiser les quelques rares fenêtres de calme intestinal pour :

- aller visiter le musée de la mémoire de la ville, où nous passerons plus de 3 heures passionnantes à apprendre l'histoire du Chili durant les 27 années de dictature de Pinochet ;

- assister également à une petite partie du défilé militaire du 19 Septembre, et plus particulièrement à celle où des hommes en chevaux et épées succèdent ... à une représentation de danse du foulard ! Alors on ne peut pas vraiment juger militairement parlant, mais on peut confirmer que ça donne envie de capituler direct !




- une journée (oui oui, une journée entière ! Imaginez à quel point l'Imodium et le riz ont dû faire effet) très agréable dans le parc métropolitain de la ville, situé tout en longueur sur la plus grande colline de la ville, et offrant un panorama à 360 degrés sur le centre, sa périphérie, et les hauts sommets enneigés qui l'entourent par endroit ;

- un tour organisé avec au programme les nombreux marchés de la ville, tous grouillants de vie, et le cimetière principal, grand comme 107 terrains de football (!) et où sont désormais enterrés les restes d'Allende, figure de la résistance face à la tyrannie, président mort en fonction dans le palais présidentiel pendant le coup d'état de Pinochet ;

- de nombreux centres culturels, très modernes, aux expositions et activités multiples, avec leur lot de danseurs de hip-hop hypnotisant ;

- et enfin, un moment attendu comme nul autre, le souvenir de toute une vie et de bien plus : la visite du seul Decathlon du pays ! et de l'un des rares du continent. Quelle joie de passer près d'une heure dans ses rayons, hésitant avec émotion entre des dizaines de style de chaussettes de randonnée, épousant toutes le pied au millimètre, des centaines de sacs aux contenances et styles si variés, adaptés à chaque situation d'une vie sportive, sans oublier les sous-vêtements les plus high-tech au monde, capables de sécher alors qu'on est encore en train de les laver ! Bon ok, on est peut être un peu barjots de Decathlon, mais quand même, dur de lui trouver un concurrent même à l'autre bout du monde !



Nous quittons Santiago en début de semaine suivante, et mettons ainsi terme à une longue période citadine, qui nous aura permis de découvrir les nombreuses facettes de la société chilienne et de son histoire tourmentée, pour aller nous immerger dans son monde rural pendant une semaine complète afin de participer à notre deuxième (ou premier ? on s'était dit quoi déjà ?) volontariat dans le pays !