Et nous revoilà au Chili pour quelques jours, deux semaines seulement après l'avoir quitté pour l'Argentine.


Deux semaines exceptionnelles, passées à s'émerveiller devant les beautés que nous offre la Patagonie, de ses glaciers gigantesques à ses sommets "inspirants", en passant bien évidemment par ses inombrables lacs et forêts.


Si notre itinéraire nous fait retraverser la frontière dans l'autre sens, mais bien plus au sud cette fois-ci, c'est pour aller à la rencontre d'un autre monument de la région et un incontournable pour les trekkeurs les plus assidus : le célèbre parc national Torres del Paine.


Un parc naturel très bien protégé, qui présente des statistiques impressionnantes :

- une surface de plus de 200.000 hectares

- plus de 100 km de sentiers balisés, pour des dizaines d'options de randonnée, du "simple" circuit à la journée jusqu'à la dizaine de jours de treks

- plus de 200.000 visiteurs annuels

- des refuges proposant des lits en dortoirs à 100€ la nuit, et des repas à plus de 50€


Si le tarif des nuitées "en dur" (comme on dit dans le jargon totalement inventé des trekkeurs économes) a de quoi refroidir, il reste heureusement la solution la plus économique et la plus répandue possible : le camping !


Quelques dizaines d'euros par personne pour un emplacement, un peu de bouffe "fait tente" (l'équivalent du "fait maison" dans le désormais célèbre jargon du trekkeur économe), et le séjour dans le parc devient envisageable même pour les plus petits budgets.


Il ne reste plus qu'à déterminer le parcours, mais heureusement pour nous, l'organisation du parc a tout prévu et même si la liberté de déplacement et de jours passés dans son enceinte est totale, deux principaux circuits sont proposés aux visiteurs :

- le circuit O, alias "la totale" ou "la casse-pattes" : boucle complète de 7 à 9 jours, de plus de 150 km, et qui vous permet de ne rien louper, même les endroits où il n'y a rien à louper

- ou le circuit W, alias "ah oui, vous aussi !", puisque 95% des visiteurs du parc le choisissent : un circuit en W (d'où le nom, c'est astucieux), qui permet de passer par la majorité des attractions naturelles du parc en 4 jours, au prix de journées de marche à plus de 20 kilomètres parfois.


Le débat est lancé, et si les avis divergent, ce n'est pas concernant le choix du circuit, qui s'impose presque naturellement à nous (95% je vous ai dit), mais au sujet de la participation de Clarita à cette entreprise périlleuse, alors qu'elle est quelque peu repue des treks au kilométrage illimité, et surtout récemment blessée à la cheville dans l'ascension du Fitz Roy. Le verdict tombe, irrévocable, elle ne sera pas de cette nouvelle épreuve, mais elle ne quitte pas l'aventure pour autant, et profitera de quelques jours de confort grâce à son totem d'immunité (bon ok, j'ai peut-être un peu trop regardé Koh Lanta moi...).


Dernière étape avant le départ : l'équipement ! Si nous sommes déjà équipés de redoutables duvets Decathlon, dont la réputation et la publicité ne sont plus à faire ici, il nous manque néanmoins l'indispensable tente qui nous permettra de résister aux conditions peu clémentes de cette région du monde, et le matériel nécessaire à l'élaboration de repas de haute gastronomie, tels que le célèbre semoule-sel-salami, le pâtes-sauce-salami de fêtes, ou encore le polenta-sel-salami de réconfort (ouais bon, on s'est dit que mettre du salami partout, ça donnerait sûrement un peu de goût à ces recettes austères).


C'est à Puerto Natales, ville étape située a quelques kilomètres au sud du parc, que nous faisons nos emplettes la veille du début du trek. Nous trouvons tout assez rapidement, notamment la tente, que nous aurons le plaisir d'apprendre à monter sur la pelouse de la place principale de la ville, activité qui pourrait surprendre ailleurs, mais qui passe presque inaperçue tant elle est banale ici.


Quelques heures de sommeil seulement plus tard, et nous prenons un bus pour rejoindre l'entrée du parc, avant que ne commence vraiment le dépaysement et l'immersion, grâce à la demi-heure de balade en catamaran permettant de rallier le point de départ de notre circuit. Si la température sur le pont du bateau frôle avec le négatif, la vue est somptueuse : l'eau du lac que nous traversons est bleue turquoise, et les collines à l'herbe verte qui l'entourent précédent des montagnes immenses à moitié enneigées et aux sommets légèrement recouverts par des nuages. On croirait s'avancer dans un nouveau monde.


A peine le pied posé sur la terre ferme, nous arrivons au camping, intelligemment placé près de l'embarcadère, et nous montons rapidement la tente avant de prendre la poudre d'escampette pour aller profiter d'un mirador naturel sur un immense glacier, à quelques kilomètres de là. Si nous sommes cette fois-ci beaucoup plus loin que nous ne l'étions du Perito Moreno, il y a de ça quelques jours seulement, la hauteur du point de vue nous offre un panorama magnifique sur l'immensité de cette rivière de glace, figée entre d'innombrables montagnes, et libérant de géants glaçons bleutés dans un lac à la teinte sombre, pertinemment appelé le Lac Gris.


Cette première demi-journée de marche d'une bonne dizaine de kilomètres nous met en bonnes conditions pour affronter la journée du lendemain, et la nuit au camping, dont nous redoutions les températures extrêmes et le vent insolent, s'avère bien plus clémente que prévue, et finalement très agréable, un espace couvert et fermé étant même prévu pour permettre à tous les campeurs de cuisiner au chaud.


Telles des poules, notre horloge interne nous réveille aux premières lueurs du jour. En deux temps trois mouvements, la tente est pliée et rangée, le café englouti, et nous voilà partis pour 8 kilomètres de marche avec nos gros sacs bien remplis, ce qui rend l'exercice un peu plus fatiguant qu'il ne l'est deja, mais tout à fait acceptable au vu du profil topographique assez plat du sentier. Ici aussi le décor est superbe, avec un lac à notre droite, et une immense montagne pyramidale à notre gauche.

Nous arrivons avant l'heure du déjeuner au camp où nous passerons la nuit, bien plus rudimentaire que le précédent car totalement libre et gratuit (youpi !). Pas une minute à perdre, la tente est une nouvelle fois montée dans des temps records, et nous partons à la découverte de la Valle Frances (alias Vallée Française, on se demande toujours pourquoi), un aller-retour d'une douzaine de kilomètres jusqu'à un mirador perché au milieu d'une vallée encaissée dans une sorte de cratère naturel, entourée de pics incroyablement ciselés aux roches oranges et noires. Sur le chemin, un glacier à flan de montagne rythme la journée par de grandes déflagrations dûes aux avalanches provoquées par la fonte de sa glace. Impressionnant. La vallée est peu feuillue à cette époque de l'année, et le temps assez nuageux sur l'ensemble de l'après-midi, mais nous sommes encore une fois épargnés par la pluie, et si notre arrêt dans le vent glacial du mirador ne nous réchauffe pas vraiment, nous avons la chance de profiter d'un soleil moins timide sur le retour.


La nuit dans le "camp de fortune" se passe encore une fois très bien, l'humidité redoutée du sous-bois ne venant même pas à bout de notre vieille tente en fin de vie, qui s'avère bien plus efficace qu'elle n'est agréable à regarder (on pensait avoir raté un truc dans son montage pour qu'elle semble tout le temps prête a s'effondrer mais finalement on s'est juste aperçu trop tard qu'il lui manquait quelques attaches importantes, mais heureusement plus pour le style que l'efficacité !).


La 3ème journée de notre aventure s'avérera être la plus dure, car même si nous n'avons "que" 17 km à parcourir jusqu'au prochain camp, nous devons porter nos gros sacs encore bien remplis toute la journée, pour planter notre tente à l'entrée opposée du parc, dont nous repartirons le lendemain soir, après avoir passé la journée à grimper jusqu'à la lagune emblématique du parc, point d'orgue de notre trek, et délice pour les yeux d'après les dires.


Avec cette récompense dans la tête, nous avançons fièrement dans cette pénible étape, accompagnée d'abord par une fine bruine en début de journée, nous permettant quand même de contempler de somptueux arcs-en-ciel sur notre chemin, puis un soleil radieux après le déjeuner, encourageant nos pas et baignant les lacs, montagnes et collines environnantes d'une lumière magnifique, avant de malheureusement laisser sa place sur les 4 derniers kilomètres à une pluie sauvage, accompagnée d'un vent tout aussi sauvage, qui nous font presser le pas malgré les quelques douleurs ressenties aux épaules et hanches.


Quelques peu lessivés par ces intempéries, nous profitons d'une accalmie en arrivant enfin au camp, que nous imaginions au moins aussi réconfortant que celui de notre première nuit, au vu de son prix bien plus élevé, et dont le "standing" s'avère finalement à peine plus élevé que celui du matin même. Une moitié de chapiteau avec trois petites tables de pique-nique nous accueille, nous et la bonne trentaine de campeurs du soir, qui doivent s'entasser le temps de manger, pendant que la neige, oui oui, la neige, commence a faire son apparition.


Cette fois-ci, on y est ! Un vrai temps patagonien, avec du vent, du froid et de la neige ! La voilà, l'expérience totale ! :)


Mais encore une fois, nous sommes sauvés de l'horrible perspective d'une nuit blanche glaçante par notre incroyable tente, qui n'aura jamais cessé de nous surprendre pendant ces 3 nuits.


Un dernier réveil à l'aube, et nous nous lançons dans l'ascension de la dernière difficulté de notre circuit, d'abord sous une faible et timide neige, puis sous des flocons bien plus nombreux et véhéments, qui ne cesseront de nous poursuivre pendant les 3 premières heures de notre marche. La neige recouvre rapidement toutes les collines qui nous entourent, et s'immisce jusque dans l'épaisse forêt qui nous amène jusqu'au pied de l'ultime difficulté du jour, un dénivelé de près de 400m en un peu plus d'un kilomètre à peine.


Si le paysage enneigé rajoute un charme indéniable au spectacle qui s'offre à nous, les nuages chargés qui nous surplombent de quelques centaines de mètres seulement recouvrent complètement les sommets environnants, et plus particulièrement les fameuses "tours", aka "Torres", récompenses ultimes des visiteurs du parc, qui entourent cette célèbre lagune, et rendent le décor sublime. Les malheureux randonneurs de la veille, ainsi que les psychopathes de la nuit, montés pendant 4 heures à la lumière de leur frontale pour profiter du lever de soleil sur ces pics, absolument personne dans ce grand nombre de randonneurs n'a pu contempler ces fameuses aiguilles de roche, qui attirent à elles seules les 3/4 des visiteurs du parc.


De gros nuages épais, succédant à d'autres nuages, les ont inlassablement recouverts pendant plusieurs heures. Mais l'espoir nourrit l'homme, et l'homme fait avancer ses pattes, et nos pattes continuent quand même de monter, accompagnées par des dizaines d'autres pattes de marcheurs optimistes et entêtés, promis pourtant à un spectacle amputé de son atout majeur.


Mais parce que l'homme s'entête et continue inlassablement d'y croire, il est parfois récompensé de ses efforts et de son obstination.


Et si l'image même d'un cul bordé de nouilles me semble bien éloignée de la chance que cette expression est censée représenter, nous pouvons raisonnablement dire que oui, nous avons eu le cul bordé de nouilles !


Car au fur et à mesure de notre interminable ascension, tandis que nos pieds foulent avec prudence la neige fraîchement tombée, le ciel se dégage progressivement et nous arrivons aux bords de la lagune sous un grand soleil, qui chasse à grand renfort de bourrasques les nombreux nuages qui obstruent encore la vue, avant de nous dévoiler le Saint Graal quelques minutes à peine après notre arrivée !


Les 3 célèbres tours se détachent enfin et s'offrent pendant plus d'une heure à nos yeux admiratifs. Le décor est splendide, et la vue de cette petite lagune perchée dans les sommets nous fait presque oublier les efforts constants des 4 jours de marche passés.


Nous redescendrons les quelques dix kilomètres de cette dernière étape bien plus facilement, et c'est remplis d'une intense fatigue mais d'une immense joie que nous rejoindrons au terme de plusieurs heures de bus la petite ville de Puerto Natales, où le plaisir des retrouvailles avec Clara prolongera encore un peu plus le plaisir de cette incroyable journée.